La consultation d'anesthésie

La consultation d'anesthésie est une étape essentielle au bon déroulement des procédures sous anesthésie et c’est de sa qualité que découle la capacité d’anticipation des risques et complications potentielles. Les données qui y sont recueillies orientent le choix de la technique anesthésique et les soins péri-opératoires les plus adaptés à l’état clinique du patient et à la procédure interventionnelle envisagée.

Général
 — 
TEMPS DE LECTURE  :  
5
 minUTES
20.7.2023

La consultation d'anesthésie : historique et intérêt.

Historique

A partir des années 50, l'équipe du Dr. Lee1 explicite le fait que la consultation pré-anesthésique (CPA) optimise la gestion pré-opératoire du patient, permettant une prise en charge et une réhabilitation post-opératoire adéquates. Cette publication visionnaire mentionne la nécessité d’évaluer et d’améliorer en pré-opératoire la fonction respiratoire et cardiovasculaire, l’état dentaire, et l’état hydro-électrolytique du patient, ainsi que de prévoir une approche anticipée de l’anémie et de la dénutrition.

La CPA est une étape essentielle au bon déroulement des procédures sous anesthésie et c’est de sa qualité que découle la capacité d’anticipation des risques et complications potentielles. Les données qui y sont recueillies orientent le choix de la technique anesthésique et les soins péri-opératoires les plus adaptés à l’état clinique du patient et à la procédure interventionnelle envisagée.

Déroulé

A l’heure actuelle, le déroulé d’une CPA suis le cheminement suivant² :

1. La réalisation d’un questionnaire de pré-anesthésie (QPA) par le patient avant la consultation. Ce questionnaire liste une quarantaine de questions sur son état de santé, ses antécédents, mensurations et traitements.

2. L’évaluation du dossier médical comprenant idéalement une demande de consultation d’anesthésie qui décrit le geste prévu, le contexte dans lequel il est réalisé et le questionnaire de pré-anesthésie.

3. Un examen clinique complet avec l’interrogatoire médical pour recueillir ses antécédents médicaux, chirurgicaux et anesthésiques, d’éventuelles allergies, la liste de ses traitements en cours, son mode de vie, son degré d’autonomie ainsi que sa tolérance à l’effort. L’examen physique prendra en compte le recueil du poids et de la taille du patient, la recherche de critères de ventilation au masque difficile ou d’intubation difficile, et un examen somatique orienté par les antécédents et le geste chirurgical envisagé.

4. La demande d’avis spécialisés (cardiologue, pneumologue…) ou d’examens complémentaires (électrocardiogramme, analyses sanguines…) en fonction du terrain ou de l’acte prévu. Des recommandations actualisées sont proposées par la Société Française d’Anesthésie et Réanimation (SFAR) pour une pratique raisonnée et basée l’état des connaissance actuelles3.

5. Une proposition de protocole d’anesthésie constituant la conclusion de la partie médicale de la CPA qui décrit les éléments importants et principaux de la prise en charge péri-opératoire. Des éléments comme le score ASA du patient, le protocole d’anesthésie envisagé, l’antibioprophylaxie nécessaire, l’évaluation du risque de ventilation ou d’intubation, le risque hémorragique et thrombotique, les stratégies d’épargne sanguine, le monitorage spécifique nécessaire, le protocole d’analgésie post-opératoire, les modifications du traitement personnel avec les relais à entreprendre si nécessaire et enfin l’éventuelle prescription d’une prémédication. Le parcours d’orientation post-opératoire est également à anticiper d’une simple prise en charge en ambulatoire ou à l’opposé une surveillance en soins critiques par exemple.

6. Enfin, l’information médicale avec à l’issue le recueil du consentement éclairé du patient concernant sa prise en charge. Il s’agit de l’étape finale, impliquant la communication au patient d’une information claire, loyale, adaptée et pédagogique. Le protocole de prise en charge prévu doit être expliqué avec des termes simples avec ses avantages et ses risques. Des documents d’information adaptés à chaque situation sont remis mais ne remplacent pas l’information orale délivrée par le praticien. Le fait que ces informations ont été données doit être précisé dans dossier d’anesthésie. Cette dernière étape permet au patient de poser des questions et d’être réassurer à juste mesure sur sa prise en charge globale. Cet échange d’informations doit figurer dans le document de la consultation d’anesthésie.

Avantages

La conduite de cette consultation présente d’autres avantages. La découverte d’une anomalie clinique ou biologique peut mettre en évidence une nouvelle pathologie ou une maladie chronique déséquilibrée, nécessitant une prise en charge avant la procédure envisagée. Dans une analyse rétrospective réalisée aux Etats Unis sur 5083 patients reçus en CPA, Correll et al.4 retrouvent ainsi 647 patients dans ce cas de figure, et 17% d’entre eux faisant l’objet d’un nouveau diagnostic posé au décours de la consultation. Dans ce cas de figure, il est évident que la réalisation de la CPA en amont de l’acte chirurgical présente un avantage, dans la mesure où elle permet de prendre le temps de poursuivre des explorations complémentaires, rééquilibrer un traitement, ou instaurer des thérapeutiques nouvelles avant d’envisager la chirurgie.

Réglementation en France

Les pratiques de préparation présentent une grande disparité selon les pays. En France, la législation5 prévoit de réaliser obligatoirement une CPA 48 heures avant tout geste anesthésique non urgent L’ensemble des modalités est détaillé par le décret n°94-1050 du 5 décembre 199410 relatif aux conditions techniques de fonctionnement des établissements de santé dans ce domaine spécifique. Ce décret a permis d’établir un cadre légal d’exercice de l’anesthésie, comprenant des obligations en termes de modalités de déroulement de la consultation d’anesthésie, de tenue du dossier d’anesthésie, d’organisation du programme opératoire, de surveillance per-opératoire, de matériel d’anesthésie-réanimation et de fonctionnement de la salle de surveillance post-interventionnelle, rendue formellement obligatoire par ce texte. Les points relatifs à la consultation pré-anesthésique sont les suivants :

« La consultation pré-anesthésique […] a lieu plusieurs jours avant l’intervention. »

- « Si le patient n’est pas encore hospitalisé, elle est effectuée :

a) Pour les établissements de santé assurant le service public hospitalier : dans le cadre des consultations externes relevant des dispositions du décret no 82-634 du 8 juillet 1982 ;

b) Pour les établissements de santé privés relevant des dispositions de l’article L. 162-22 du code de la sécurité sociale : soit au cabinet du médecin anesthésiste-réanimateur, soit dans les locaux de l’établissement. »

- « Cette consultation est faite par un médecin anesthésiste-réanimateur. Ses résultats sont consignés dans un document écrit, incluant les résultats des examens complémentaires et des éventuelles consultations spécialisées. Ce document est inséré dans le dossier médical du patient. »

« La consultation pré-anesthésique ne se substitue pas à la visite pré-anesthésique qui doit être effectuée par un médecin anesthésiste-réanimateur dans les heures précédant le moment prévu pour l’intervention. »

« L’anesthésie est réalisée sur la base d’un protocole établi et mis en œuvre sous la responsabilité d’un médecin anesthésiste-réanimateur, en tenant compte des résultats de la consultation et de la visite pré-anesthésiques mentionnées à l’article D. 712-41 »

stethoscope

Dans le cadre de l’urgence, la consultation et la visite pré-anesthésique (VPA) peuvent être effectuées dans le même temps, la situation ne permettant pas de réaliser une consultation programmée à distance de l’acte chirurgical.

Cette réglementation autour de la CPA est une particularité française. Si l’évaluation pré-opératoire par un médecin anesthésiste reste incontournable, la tenue d’une CPA précédant la chirurgie de plusieurs jours est recommandée sans pour autant être formellement exigée. Aux États-Unis et au Royaume-Uni par exemple, cette consultation peut être réalisée le jour même de l’acte. Récemment, les pays anglo-saxons (États-Unis, Canada, Australie) ont développé le recours à une évaluation préopératoire à distance de l’acte, réalisée au sein de structures spécialisées6,7,8,9,10. Ainsi est apparu le concept de médecine péri-opératoire, qui correspond aux pratiques de l’anesthésiste-réanimateur en France.  

En 2012, l’American Society of Anesthesiologists (ASA) a publié en 2012 un rapport6 sur la pratique de l’évaluation pré-anesthésique. Plus l’acte est invasif, plus le risque chirurgical est important, plus la CPA réalisée en amont de la chirurgie devient pertinente. Dans le cas contraire, la CPA peut être effectuée la veille ou le jour de l’intervention. La sévérité de l’état clinique du patient est également un argument qui doit conduire à anticiper la CPA. La planification de la CPA doit donc prendre en compte la sévérité de l’état du patient et le caractère invasif de l’acte interventionnel.

En France, la CPA est obligatoirement effectuée par un médecin anesthésiste-réanimateur. Ses modalités sont à établir par chaque équipe. La rédaction de procédures définissant son organisation est conseillée. A l’étranger, des études mettent en avant la place d’un infirmier dédié à cet exercice, travaillant en équipe avec un médecin anesthésiste 8,9. L’infirmier est alors formé à sélectionner des patients en fonction de leur état clinique et peut réaliser la consultation lui-même si le patient et l’acte chirurgical prévus ne présentent pas de particularité notable. La méthode utilisée pour sélectionner les patients est souvent un questionnaire à type de check-list10, comprenant une liste de paramètres à rechercher à l’interrogatoire et à l’examen clinique. Formé à différencier un examen clinique normal d’un examen anormal sans pour autant devoir poser un diagnostic, l’infirmier est alors en mesure le cas échéant d’orienter le patient vers le MAR.

La question du contenu du questionnaire est essentielle11 ; celui-ci doit faire l’objet de réévaluations régulières pour maintenir des critères d’évaluation dont la sensibilité et la spécificité sont optimales afin de maintenir une sélection la plus fiable possible.

1.     Lee JA. The anaesthetic out-patient clinic. Anaesthesia 1949;4(4):169-174.

2.     Eon et le groupe de travail SFAR« Dossier anesthésique », La consultation et le dossier d’anesthésie : qualité du dossier, MAPAR 2002, Paris.  

3.     Molliex S. et al. Examens préinterventionnels systématiques. Annales Françaises d’Anesthésie et deRéanimation 31 (2012) 752–763.

4.     Correll DJ, Bader AM, Hull MW, Hsu C, Tsen LC, Hepner DL. Value of preoperative clinic visits in identifying issues with potential impact on operating room efficiency. Anesthesiology 2006;105(6):1254–1259.  

5.     Décret n°94-1050 du 5 décembre1994 relatif aux conditions techniques de fonctionnement des établissements de santé en ce qui concerne la pratique de l’anesthésie et modifiant le code de la santé publique, Journal Officiel de la République Française, n°284, décembre1994.

6.    Committee onStandards and Practice Parameters et al. Practice advisory for preanesthesia evaluation: an updated report by the American Society of Anesthesiologists TaskForce on Preanesthesia Evaluation. Anesthesiology 116, 522–538 (2012).

7.    Practice Guidelines for Obstetric Anesthesia: An Updated Report by the American Society ofAnesthesiologists Task Force on Obstetric Anesthesia and the Society forObstetric Anesthesia and Perinatology. Anesthesiology 124, 270–300 (2016).

8.    PreoperativeAssessment and Patient Preparation : The Role of the Anaesthetist. AAGBI Safety Guideline. The Association of Anaesthetists of Great Britain and Ireland, 2010.

9.    Jones K., Guidelines for the Provision of Anaesthetic Services, Anaesthesia Services forPreoperative Assessment and Preparation, Royal College of Anaesthetists ; 2014:1-10.

10.  Bond DM., Pre-anesthetic assessment clinics in Ontario, Can J Anaesth ; 1999;46(4):382-387

11.   Vetter, T. R.,Boudreaux, A. M., Ponce, B. A., Barman, J. & Crump, S. J. Development of aPreoperative Patient Clearance and Consultation Screening Questionnaire:Anesthesia & Analgesia 123, 1453–1457 (2016).

Vous avez aimé cet article ? N'hésitez pas à le partager.